En migration, d’une ville à une autre
Par Sophie Basso, EUAV en Tunisie.
Lundi 30 mars 2020 – « Où que tu ailles, vas-y avec tout ton cœur » Confucius
Lorsqu’on a pris la route, le soleil promettait une belle journée.
Trop souvent, quand on entend le mot « migrant » on pense à des personnes qui traversent, au péril de leur vie, les mers et les déserts. En fait en Tunisie je suis migrante aussi, comme les autres Européens vivant ici. Et tous les autres étrangers – qu’ils soient Libyens, Américains ou Indiens – présents dans le pays pour y travailler. Les migrants sont aussi les étudiants, qu’ils viennent de l’Afrique ou d’autres continents. En Tunisie il y a aussi les réfugiés et les demandeurs d’asile, de Syrie, d’Erythrée ou encore de Somalie. Les migrants sont aussi ces hommes et femmes victimes de la traite, souvent venus de leur pays par avion – beaucoup de Côte d’Ivoire – avec une promesse d’emploi. Les migrants en Tunisie sont ces étudiants ou travailleurs qui ont dépassé leur délai de visa. Ils n’ont pas d’argent suffisant pour payer leur pénalité se retrouvant alors en situation administrative irrégulière – en Tunisie après un dépassement de séjour une pénalité doit être payé. Les migrants en Tunisie sont aussi ces personnes, quelques fois des mineurs non accompagnés, venues d’autres pays d’Afrique par les déserts et voulant traverser la mer.
J’habite à Tunis depuis six mois et je travaille pour le projet santé et migration de Médecins du Monde. Je suis en support à la cheffe de projet : je travaille à la planification, la mise en œuvre et le suivi du projet. J’effectue également des tâches de coordination et de partage de l’information avec les équipes de Sfax, Tunis et Médenine. J’aime travailler sur les questions migratoires et j’apprends à me familiariser avec les enjeux spécifiques à la santé. Il y a deux semaines je suis partie en visite de terrain.
Au fur et à mesure qu’on roulait vers Sfax les nuages devenaient menaçants. La pluie allait tomber.
L’objectif de notre déplacement était de faire les réunions de suivi de projet avec les équipes, de faire le point avec les partenaires et d’assister aux activités avec les bénéficiaires. C’est pour moi l’occasion de mieux comprendre les différences en termes de contexte migratoire à Tunis, Sfax et Médenine.
Bien que nous travaillons dans ces trois villes avec les personnes migrantes vulnérables et sur les mêmes axes – protection avec les permanences médico-psycho-sociales, renforcement des capacités des partenaires et des institutions publiques en matière de santé et plaidoyer – les spécificités liées aux profils migratoires et au contexte local sont à prendre en compte pour chaque activité.
Tunis capitale administrative du pays. Ville en mouvement permanent avec ses toits blancs et sa médina colorée. A Tunis, se rencontrent dans les permanences de Médecins du Monde, des femmes enceintes, des migrants travailleurs ou étudiants aux vulnérabilités multiples et des victimes de traite. Nombre de ces personnes viennent de pays d’Afrique subsaharienne, notamment de la Côte d’Ivoire. Nous recevons aussi des réfugiés et des demandeurs d’asile de Syrie ou d’ailleurs.
On est arrivé à Sfax en début d’après-midi. Il pleuvait des cordes.
L’équipe de Médecins du Monde était en train de terminer une activité de sensibilisation sur la somatisation, ces troubles physiques qui découlent de troubles psychologiques. Nous avons partagé le repas ensemble, avec l’équipe et les bénéficiaires participant à l’activité. A Sfax l’ambiance est chaleureuse. D’ailleurs c’est ce que j’apprécie en Tunisie depuis mon arrivée : la convivialité et les échanges autour des repas.
Sfax, ville industrielle du pays, sur la côte méditerranéenne. Entre la capitale et le grand sud. Ici se rejoignent les migrants du nord et du sud, les profils sont mixtes. On y retrouve des femmes enceintes, des victimes de traite, des enfants, des étudiants, des migrants venus de la Libye, des travailleurs vulnérables d’Afrique subsaharienne ou encore des réfugiés et des demandeurs d’asile.
Nous enchainons sur une réunion d’équipe, les informations sont échangées. Le lendemain c’est avec les partenaires que nous nous entretenons afin d’améliorer les mécanismes de coordination. J’apprécie particulièrement ces moments d’échanges avec les partenaires. Quelques fois cependant je rencontre le problème de la langue, dès lors que les discussions deviennent plus informelles et se poursuivent en arabe.
Le soleil est de retour et après un jour à Sfax il est déjà temps de reprendre la route. Direction le Sud. Cette traversée du pays me ravit. Les paysages défilent. Nous avançons laissant derrière nous l’autoroute. Des palmiers verts nous passons aux plaines vastes et arides. Je libère les énergies du voyage. Laisse libre court à mon imagination.
Le soleil se couche colorant le ciel de nuances de rouge. Nous arrivons à Médenine. Il fait nuit maintenant. Le ciel est rempli d’étoiles. Le calme est magnifique. Une pause de la vie mouvementée de Tunis.
Médenine, une des dernières villes tunisiennes avant la Libye. Aux portes du Sahara. Sa situation géographique en fait un carrefour pour les migrants, réfugiés ou demandeurs d’asile venus de la Libye après un long voyage au-delà du Sahara. Beaucoup arrivent en Tunisie avec des traumatismes liés aux parcours migratoire – torture, violence, esclavage, viol – ou à la raison qui les a fait quitter leur « chez eux ».
Durant toute la matinée nous sommes en réunion avec les acteurs de la migration à Zarzis et à Médenine. Les discussions tournent autour des mesures d’hygiène prises pour les personnes migrantes vivant dans les foyers de l’Organisation Internationale de la Migration et de l’UNHCR, mais aussi des jeunes migrants qui décident de retourner en Libye joindre les rangs l’armée libyenne car celle-ci les paient bien.
L’après-midi, nous nous réunissons, l’équipe de Médecins du Monde à Médenine, pour une réunion de suivi de projet. Puis arrive le moment de retourner à Tunis. Plus de six heures de route nous attendent. J’apprécie de voyager en Tunisie, d’observer les paysages et de découvrir la culture du pays, les différences entre les régions. Même si je suis seulement de passage, j’ai développé un quotidien et construit un « chez-moi » ici.
Mes pensées vagabondent. D’une ville à l’autre. Toutes ces personnes en mouvement. D’un pays à l’autre. Tous ces kilomètres parcourus. Parfois dans des conditions épouvantables. En migration, d’une ville à l’autre.